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Placement à l’extérieur : « Je n’avais nulle part où aller »

Après dix ans de prison, Ali est en placement à l’extérieur depuis deux mois, en région parisienne. Hébergé par une association qui le soutient dans ses démarches administratives, il cherche un travail et reprend progressivement ses marques.

« Je sors de huit ans de prison, et j’en avais déjà fait deux juste avant. Je n’avais nulle part où aller : avant la prison, j’étais sans domicile. C’est pour ça que j’ai demandé un placement à l’extérieur. Pour une liberté conditionnelle ou un bracelet électronique, il faut une adresse. Et la semi-liberté, ça ne m’aurait pas vraiment aidé pour toutes les démarches à faire. Quand on est coupé du monde depuis des années, même un simple rendez-vous médical, ça peut être compliqué. Là, j’ai un peu de temps pour me préparer à la suite.

Je ne connaissais pas du tout la région, mais j’ai un bon sens de l’orientation, je découvre la ville petit à petit. À l’appartement, on est trois, chacun a sa chambre, c’est comme une colocation. Chacun fait sa vie, chacun a ses horaires. On partage la cuisine, la douche, les toilettes… On essaie de ne pas trop se déranger. Il faut juste un peu de savoir-vivre, comme en cellule, sauf qu’ici au moins, j’ai une pièce où me poser. Et si d’ici un an j’ai bien avancé, si j’ai de quoi me débrouiller seul, je serai aidé pour trouver un appartement et passer sur un autre aménagement. Donc tant que je fais les choses bien, que je retrouve une vie stable, je ne risque pas de me retrouver à la rue.

Je sais que l’association propose plein de choses pour ceux qui en ont besoin, ils ont par exemple un chantier où quelques gars travaillent. Mais pour moi, l’accompagnement porte surtout sur les démarches administratives. Je vois Mme V. une fois par semaine. Et je peux l’appeler pour n’importe quel problème, elle m’aide toujours à trouver une solution. Sans elle, je n’en serais pas du tout là où j’en suis : tous mes papiers à jour, un compte en banque, la demande de RSA, la carte de transport… Et je suis dans les bonnes conditions pour chercher du travail. Quand je vivais dehors, j’avais parfois des entretiens d’embauche, mais le jour du rendez-vous, je ne pouvais même pas être propre. Ici, j’ai accès à un ordinateur et une imprimante pour faire mon CV ou une lettre de motivation.

« Un long moment de réadaptation »

Jusqu’à maintenant, mes horaires de sortie, c’était 14h-17h30. Mais ça vient tout juste de changer : ça passe à 8h-20h tous les jours. Pour la recherche d’emploi, c’est mieux. Je postulais sur Internet, mais c’est quand même mieux de pouvoir se déplacer. Et surtout, ma femme vit dans la région, je vais pouvoir la voir un peu plus. Elle m’a attendu plus de cinq ans. Ces derniers mois, elle devait faire un peu de chemin pour qu’on se retrouve, autrement, le temps d’aller chez elle, je restais une demi-heure et je devais rentrer… Mais voilà, j’ai patienté deux mois et j’ai un peu plus de liberté. Enfin, les horaires auraient de toute façon été adaptés au travail quand j’en aurai trouvé un. Et c’est toujours mieux que de rester en prison.

Il y a des contrôles chaque jour pour vérifier qu’on est bien à l’appartement. On nous appelle, chacun en fonction de ses horaires. Ça m’est arrivé de m’endormir et de manquer l’appel, maintenant je fais attention. Je m’y suis habitué. De toute façon, en prison, on a appris à prendre sur soi, à se contrôler en permanence. Alors si on y arrive là-bas… Il faut rester patient, ce n’est pas la liberté. Ma femme me disait : « Quand tu vas sortir, on va faire la fête. » Mais je savais que la fête ne serait pas pour tout de suite : il va d’abord falloir un long moment de réadaptation. Avant la prison, ça ne m’arrivait jamais, de rester patient… Mais j’ai grandi aussi, j’étais vraiment jeune quand je suis rentré.

Moi, je vois un petit peu l’appartement comme ma cellule. Je sais que j’ai le droit de sortir, mais dans ma tête, c’est comme si j’étais encore là-bas. Du coup, pour l’instant, les restrictions horaires ne me font pas grand-chose : je ne ressens pas spécialement le besoin de sortir. Si un jour j’en ai vraiment envie, je peux toujours demander une permission. Mais j’ai un peu coupé les ponts avec tout le monde, à part mon frère et ma femme. Je n’ai plus aucune attache dans la ville où j’ai grandi. Quand j’étais jeune, je traînais, j’avais des amis… Mais quand tu as fait huit ans de prison, tu ne vois plus les choses de la même manière. Être bien chez moi, c’est le plus important aujourd’hui. Pendant des années, en prison, je travaillais, et mes objectifs n’ont pas changé, finalement. Sortir la journée travailler, avoir à manger dans le frigo quand je rentre le soir et pouvoir me faire plaisir : c’est déjà beaucoup, en fait.

« J’aurais encore pu me retrouver dans la même situation »

Quand je suis sorti de prison la première fois, j’ai vite retrouvé un travail, mais mon employeur voulait que je passe le permis, et pour ça, il fallait que je récupère mon livret de famille. Je suis allé à la mairie, j’ai fait toutes les démarches, mais je n’ai jamais réussi à l’obtenir. On me disait que mes parents devaient venir avec moi, il manquait des renseignements sur eux, mais ils étaient décédés… Au bout d’un moment, mon patron m’a dit : « Reviens quand tu auras le permis. » J’étais en colocation avec mon frère et au même moment, lui aussi s’est fait virer. On a perdu le logement et on est parti chacun chez des amis. Ensuite c’est devenu compliqué, je me suis retrouvé vraiment SDF, et tout a recommencé…

Il y a deux mois, quand je suis ressorti, Mme V. a tout débloqué en quelques clics, pour mon livret de famille. À croire que je ne m’y prenais pas bien… Comme elle fait ça depuis des années, tout est facile pour elle. Si j’avais eu cette aide il y a huit ans… Aujourd’hui encore, sans cette association, j’aurais pu me retrouver dans la même situation : pas de logement, pas de travail…

Il faut que je mette à profit les deux ans qui me restent pour me relever. En plus j’ai eu trois ans de réduction de peine, donc si demain je fais n’importe quoi, j’aurai tout de suite cinq ans à faire, minimum.

« On ne sait plus trop comment faire »

Quand on sort de prison, on a l’impression que c’est écrit sur notre front, qu’on nous regarde différemment. Mais quand on discute, ça rassure, on se rend compte que c’est dans notre tête en fait. L’autre jour, j’ai vu le médecin, il m’a dit : « Vous avez l’air stressé, ça va ? » Je n’ai pas osé lui dire que je sortais de prison, j’ai dit : « C’est vrai, je suis un peu stressé en ce moment. » Mais je sais que des fois, ça peut se voir qu’on n’a pas l’habitude, qu’on ne sait plus trop comment faire. Pendant des années, quand j’allais chez le médecin, j’avais les menottes, on me les enlevait pour la consultation, les gendarmes restaient là… Mais quand on fait les choses une fois, deux fois, trois fois, ça revient. Même la sociabilité, on la perd un peu en prison, parce que quand on est obligé de vivre ensemble avec des gens parfois insupportables, ça peut être compliqué.

Au quotidien, tout me fait repenser à la prison. Ça m’arrive même encore de me croire en cellule, l’espace de deux secondes, quand je me réveille après une sieste. Mais il faut l’oublier, petit à petit. Ce n’est pas une bonne expérience, il vaut mieux l’effacer. Et puis, il y a plein de gens qui seraient même effrayés d’apprendre que je suis passé par là.

C’est dommage que des aménagements comme ça, il n’y en ait pas dans toute la France. Mon frère est en prison dans le Sud, il a cherché le même genre de placement que moi, mais ça n’existe pas là où il est. Tout ce qu’il a trouvé, c’est un placement à l’extérieur sans logement, un chantier extérieur. Tu sors le matin pour aller travailler aux espaces verts ou autre, et le soir, tu retournes en prison. C’est bien, mais bon, ce n’est pas pareil. Je pense qu’il devrait y avoir plus d’associations comme celle-là. Moi, ça m’aura vraiment bien aidé, ce placement à l’extérieur, ça a changé mes perspectives d’avenir.

Si je me projette dans un an, j’imagine que je travaille depuis un moment, que j’ai déjà un petit peu d’argent de côté, que j’ai peut-être une piste pour un logement social… C’est sûr que je serai beaucoup mieux, dans un an. » n

Propos recueillis par Johann Bihr

Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°120 – Octobre 2023 : Placement extérieur, une alternative à la peine