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Politique pénitentiaire : la fuite en avant continue

La surpopulation des prisons françaises a explosé en 2023. Mais plutôt que de changer de cap, gouvernement et parlementaires ont reconduit les mêmes orientations politiques et budgétaires qui en sont à l’origine.

En moins d’un an, le nombre de quartiers de détention occupés à plus de 200 % a quasiment doublé dans les prisons françaises[1]. Au centre de détention de Majicavo, le taux d’occupation est même passé de 190 % à 316 %. Le nombre total de personnes détenues dormant sur un matelas au sol a quant à lui augmenté de 30 %. C’est une véritable crise carcérale dans laquelle s’empêtre la France

– mais si la lutte contre la surpopulation est au cœur des discours, les politiques pénales et pénitentiaires restent dénuées de mesures qui permettraient vraiment d’y remédier. Malgré les appels unanimes, aucune mesure contraignante n’est prévue pour faire baisser les taux d’occupation. Au contraire, la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice pour 2023-2027 et la loi de finances pour 2024 clôturent l’année comme elle s’est ouverte[2] : sans ambition. Au programme, plus de prisons pour enfermer et plus d’équipements pour les sécuriser.

La surenchère

À la faveur d’une alliance entre la majorité et Les Républicains, trois mille nouvelles places de prison ont été ajoutées au « plan 15 000 » prévu à l’horizon 2027. La politique immobilière s’intensifie alors même qu’elle occupe déjà la première place du podium dans le budget de l’administration pénitentiaire, hors dépenses liées au personnel. Pour la seule année à venir, 634 millions d’euros y sont consacrés[3]. La dette qu’elle génère depuis des dizaines d’années passera quant à elle le cap des cinq milliards.

L’énormité de ces sommes contraste avec l’inefficacité de cette politique, soulignée de toutes parts, et encore récemment par la Cour des comptes (voir ci-dessous). En termes de surpopulation, d’abord : depuis plus de quarante ans, l’ouverture de nouvelles prisons s’est toujours accompagnée d’une hausse de la population carcérale, sans corrélation avec la croissance démographique ou l’évolution de la délinquance. 2023 n’a pas fait exception : la France a battu son record historique du nombre de personnes détenues un mois sur deux.

Cette politique ne permet pas davantage d’améliorer les conditions de détention. L’expérience montre qu’elles sont également dégradées dans certaines prisons récentes[4]. Et les plans de construction s’entendent en « nouvelles places nettes » qui n’impliquent donc pas la fermeture d’établissements vétustes. D’ailleurs, parmi la cinquantaine de prisons jugées indignes par les tribunaux, seules quatre ont été fermées ou rénovées.

La construction de nouveaux établissements pénitentiaires alimente même un véritable cercle vicieux : au cœur de politiques pénales de plus en plus répressives, elle renforce le sentiment d’insécurité et l’idée que la prison est la seule peine qui vaille pour y remédier.

Des moyens humains sacrifiés sur l’autel de la construction

Cette incessante politique de construction a également une autre conséquence, souvent passée sous silence : un recrutement et une formation au rabais des surveillants pénitentiaires. « Bien sûr, les besoins de recrutement sont forts, mais il ne serait pas acceptable de réduire la qualité de la formation pour en augmenter la quantité », soulignait déjà en janvier 2022 une commission d’enquête parlementaire, après avoir auditionné des membres de l’Inspection générale de la justice[5]. Dans les faits, la construction de nouveaux établissements conduit pourtant l’administration à recruter particulièrement large[6].

La loi d’orientation et de programmation promulguée fin novembre confirme cette tendance. En parallèle des 3 000 places de prisons supplémentaires, elle crée en effet le statut de « surveillant adjoint contractuel ». Si la durée de formation de ces agents doit encore être précisée par décret en Conseil d’État, l’hypothèse envisagée par le gouvernement est de dix-huit semaines, dont deux de stage en établissement pénitentiaire – contre dix-huit mois, dont douze de stage, pour les surveillants titulaires actuels. Aucune création d’emploi n’est par ailleurs prévue pour renforcer les métiers du social, de l’insertion et de l’éducation dans les prisons existantes.

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Des miettes pour les conditions de détention et les alternatives à la prison

La surenchère immobilière phagocyte en outre le budget de l’administration pénitentiaire. C’est autant d’argent public qui n’est pas investi pour véritablement lutter contre la surpopulation et améliorer les conditions de détention. Pour 2024, le budget dédié à l’entretien lourd des établissements pénitentiaires existants et celui des alternatives à la prison sont plus de dix fois inférieurs au montant consacré à la construction de nouvelles places. Avec 57 millions d’euros, le premier est même amputé d’un tiers par rapport à 2023, une diminution dramatique au vu de la vétusté et de l’insalubrité des établissements pénitentiaires français. Dernière roue du carrosse, les alternatives à la prison ne sont financées qu’à hauteur de 52 millions d’euros – dont les trois quarts vont à la surveillance électronique, centrée sur le contrôle plutôt que l’accompagnement[7]. Ce montant dérisoire souligne encore la centralité de la prison dans l’éventail des peines et rend illusoire tout espoir de réellement substituer les alternatives à l’incarcération.

L’enveloppe dévolue à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes placées sous main de justice stagne quant à elle à 123 millions d’euros[8], bien que le nombre de personnes concernées ne cesse de croître.

Moyens sécuritaires : la démonstration de force

Désertant le cœur du sujet, les autorités injectent en revanche de nouveaux moyens sécuritaires dans les prisons, avec une enveloppe de 103 millions d’euros[9]. Les brouilleurs d’ondes continuent de coûter environ 30 millions d’euros chaque année, alors que de nombreux acteurs du milieu justice-prison dénoncent les conséquences délétères de l’interdiction d’accéder à Internet sur les droits fondamentaux et le parcours de réinsertion des personnes détenues. L’achat d’équipement de sécurité, comme les armes ou les protège-lames, est quant à lui quasiment multiplié par dix, avec un budget en hausse de près de 13 millions d’euros par rapport à l’année précédente.

La généralisation de l’usage des caméras-piétons par les personnels de surveillance, enfin, a été votée par les parlementaires, malgré une expérimentation non concluante et d’importantes craintes en termes d’atteintes aux droits et libertés des personnes détenues[10].

Par Prune Missoffe

Cet article est paru dans la revue Dedans Dehors n°121 – Décembre 2023 : « Ils grandissent loin de moi » : être père en prison

 

[1] De six au 1er janvier à onze au 1er décembre 2023. Source : Direction de l’administration pénitentiaire, Statistique des établissements et des personnes écrouées en France, décembre 2023.

[2] « Plan d’action pour la justice : les non-annonces du garde des Sceaux sur les prisons », Dedans Dehors n° 118, avril 2023.

[3] Somme des nouveaux investissements immobiliers (524 millions d’euros en autorisations d’engagement) et du remboursement partiel des dettes accumulées (109 millions d’euros en crédits de paiement). Source : Budget général du ministère de la Justice – Projet annuel de performances du programme 107 « Administration pénitentiaire », Annexe au projet de loi de finances pour 2024.

[4] CGLPL, Rapport de visite du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin) – 30 novembre au 9 décembre 2022.

[5] Assemblée nationale, Rapport d’enquête n° 4906, 12 janvier 2022.

[6] Voir « École nationale de l’administration pénitentiaire : la promotion de “la honte” », Blast, 22 décembre 2023.

[7] Voir « Bracelet électronique : le remède aux maux de la prison ? », Dedans Dehors n° 111, juin 2021.

[8] Somme des dépenses de fonctionnement (107,4 millions d’euros) et d’intervention (15,8 millions d’euros). En crédits de paiement.

[9] Somme des postes budgétaires « Sécurisation passive » et « Sécurisation active », et de dépenses réparties dans d’autres catégories budgétaires (ERIS, centres sécuritaires, renseignement pénitentiaire et lutte contre la radicalisation violente). En crédits de paiement.

[10] « Caméras-piétons en prison : une généralisation menée tête baissée », Dedans Dehors n° 118, avril 2023.